samedi, 06 août 2022 17:24

Le Partenariat Mondial pour la Responsabilité Sociale (GPSA) de la Banque mondiale : un instrument pour améliorer la gouvernance des pays en développement ?

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En 2013, la Banque mondiale a lancé un nouvel outil financier, le Partenariat mondial pour la responsabilité sociale (GPSA[1]), et l’a doté d’un objectif ambitieux consistant à améliorer la gouvernance des pays en développement à travers la promotion de la collaboration des organisations de la société civile avec les gouvernements de ces pays. Depuis cette date, plusieurs appels à projets internationaux auprès des organisations de la société civile se sont succédé afin de leur attribuer des subventions qui concourent à les soutenir dans leurs démarches d’exigence de redevabilité sociale et de reddition des comptes.  

 

L’un des postulats de la théorie du changement du GPSA repose ainsi sur le rôle essentiel que doit jouer la société civile pour résoudre les problèmes de gouvernance auxquels sont confrontés une grande majorité des pays en développement. Pour ce faire, la Banque mondiale entend faciliter un « engagement constructif entre les acteurs de la société civile et le pouvoir exécutif des gouvernements de ces pays afin d'améliorer la prestation de services et de répondre aux besoins des citoyens »[2].

A plusieurs reprises[3], j’ai participé à l’évaluation de l’un des projets retenus dans le cadre du GPSA : le projet « Intégration de la redevabilité sociale dans l’éducation pour le développement (LEAD[4]) » mis en œuvre entre 2014 et 2018 au Maroc. LEAD est un projet qui vise à améliorer les performances du système éducatif marocain non seulement au sein des écoles mais aussi au niveau des instances éducatives provinciales (DPMEN[5]) et régionales (AREF[6]).

Dans le cadre conceptuel de ce projet, la redevabilité sociale était entendue comme le processus continu d’amélioration des relations de collaboration, du respect des engagements pris, et la reddition des comptes entre les acteurs institutionnels et les citoyens dans le but de contribuer à la gouvernance participative dans le système éducatif.

Cet article ambitionne de questionner le bien-fondé de la théorie du changement du GPSA à travers la description d’une étude de cas dans un pays en développement, et de s’interroger au final sur la pertinence de cette « nouvelle forme normative du monde globalisé[7] ».

La « bonne gouvernance » et l’aide publique au développement

La Banque mondiale a joué un rôle non négligeable dans la promotion de la notion de gouvernance dans un premier temps, puis de celle de « bonne gouvernance » dans une seconde temporalité, notamment dans l’affectation de l’aide publique au développement.

Sa conception de la gouvernance a ainsi évolué « en relation avec la redéfinition de frontières État-marché, puis, avec la nécessité de redonner de l’épaisseur aux institutions hors marché, avec la volonté internationale d’en finir avec la pauvreté sans attendre une échéance qui serait fixée par les seules performances de croissance économique selon la logique du « ruissèlement » (trickle down) »[8].

Progressivement, la notion de gouvernance s’est diffusée à tous les domaines des sciences sociales, dont celui de l’évaluation des régimes politiques. Ces régimes sont aujourd’hui évalués à l’aune des valeurs de la démocratie libérale, de l’aptitude à faire pièce aux dérives bureaucratiques en promouvant la transparence et la gestion responsable, le contrôle des institutions et l’ensemble des contre-pouvoirs pouvant émerger de la société civile participative.

Pour la Banque, la conjonction des concepts de gouvernance économique et politique produit ainsi une « bonne gouvernance sociale » faite d’objectifs sociétaux servis par le principe de participation active d’une population qui aiguillonne les gouvernants et les tient engagés sur un objectif de réduction de la pauvreté. Dans les années 2000, la « bonne gouvernance » devient ainsi un mode de gestion de la société destiné à consolider l’émergence de la démocratie réelle, à endogénéiser des mécanismes institutionnels efficaces dans des pays où les institutions formelles sont encore défaillantes.

Le débat sur l’affectation de l’aide publique au développement conduit parallèlement au renforcement de la prise en compte du facteur politique. La concurrence pour l’obtention des fonds publics s’organise de manière à ce qu’il y ait une prime à la vertu politique et pas seulement une prime à l’efficacité économique. La plupart des bailleurs de fonds bilatéraux donnent le ton et revendiquent la moralisation de l’aide, qui va de pair avec une « bonne gouvernance » dans ses dimensions économique et politique.

La théorie du changement du GPSA

La création du GPSA par la Banque mondiale en 2013 s’inscrit dans cette logique d’associer « bonne gouvernance » et aide publique au développement, en reconnaissant et en encourageant le rôle primordial de la société civile dans cette exigence. Pour créer un climat propice à la « bonne gouvernance » au sein des pays en développement, il faut de la confiance entre les acteurs étatiques et les organisations de la société civile (OSC), estime la Banque mondiale. Faciliter une collaboration entre la société civile et les acteurs étatiques est ainsi essentiel dans les pays en développement en raison du manque de confiance historique qui existe entre ces deux types d’acteurs.

En effet, dans de nombreux contextes en développement, les citoyens et les organisations de la société civile ne croient pas que les acteurs étatiques puissent ou veulent améliorer leurs performances et la qualité de la prestation de leurs services publics. En conséquence, ils adoptent une attitude de défiance à l’égard de l’État ou abandonnent complètement le champ politique. Or plus les citoyens et les organisations de la société civile sont passifs et peu combatifs, moins les acteurs étatiques sont convaincus que les OSC et les citoyens peuvent les aider efficacement à améliorer la gouvernance et la prestation des services publics.

En se concentrant sur la construction d'un engagement constructif et de la collaboration entre ces deux acteurs, le GPSA vise à rompre cette spirale négative et à progresser vers un équilibre plus positif dans lequel les efforts de l'Etat et de la société civile sont complémentaires et synergiques.

Le GPSA a ainsi été créé pour tirer parti des relations officielles de la Banque mondiale avec les gouvernements, de la portée de ses partenariats et de ses services de savoir, de son pouvoir de mobilisation et de sa capacité à compléter et renforcer ses interventions visant à améliorer la gouvernance mise en œuvre par les gouvernements eux-mêmes.

Dans le cadre du GPSA, la Banque mondiale entend utiliser son pouvoir de mobilisation et s'appuyer sur ses engagements traditionnels avec les gouvernements afin de créer plus d'espace pour l'interaction État-OSC, d’ouvrir des dialogues sur les politiques aux OSC et améliorer la qualité du partage d'informations entre ces dernières et les gouvernements.

La capacité des OSC à atteindre les décideurs gouvernementaux quand il le faut et d’une manière qui ait une chance réelle de les influencer est pour la banque un levier pertinent, car elle considère que le succès et l’échec de nombreuses interventions en matière de responsabilisation sociale ont une influence sur la capacité des OSC de tirer parti des circonstances politiques. En sachant où et quand se trouvent les « fenêtres d'opportunité », la Banque peut aider à fermer la boucle de la rétroaction et à aller au-delà des citoyens engagés vers des gouvernements plus réactifs.

La Banque mondiale s’estime ainsi particulièrement bien équipée pour comprendre les capacités et les contraintes des institutions de l’État et des OSC en ce qui concerne les problèmes de développement et de gouvernance par le biais de ses activités d’analyse, de connaissance et de conseil dans les pays où elle intervient.

Le projet LEAD au Maroc

Le projet LEAD, financé dans le cadre du GPSA entre 2014 et 2018, a été piloté dans 50 écoles dans les régions de Marrakech-Safi (province Al Haouz) et Casablanca-Settat (quartier de Sidi Bernoussi). L’objectif général du projet était de développer des mécanismes participatifs pour identifier les domaines à améliorer dans l'enseignement primaire, tout en renforçant la collaboration entre les associations de parents d’élèves (APTE) et les autorités éducatives afin d'améliorer les processus décisionnels aux niveaux local, régional et national.

D'une part, les écoles participantes étaient incitées à comprendre les défis auxquels elles étaient confrontées afin de mieux formuler leurs demandes (ressources, personnel, politiques, etc.) au niveau des autorités provinciales et régionales éducatives. D'autre part, avec l'augmentation de leurs responsabilités dans le cadre du processus de décentralisation, la capacité des autorités régionales éducatives (AREF) à superviser les écoles sous leur juridiction devait être accrue. La collaboration avec les APTE et la société civile devait ainsi renforcer leur capacité à cet égard.

En outre, les contributions des associations de parents d’élèves et des citoyens alimentaient les plans d'action annuels des écoles qu'ils préparent pour améliorer l'éducation dans leur région, tout en remplissant leurs nouvelles responsabilités en vertu de la nouvelle Constitution de 2011 pour permettre la participation des citoyens. Une meilleure compréhension des défis à ce niveau leur permettraient de renforcer leur position lors des négociations avec le ministère de l'éducation.

Enfin, avec la pression exercée sur le gouvernement, puisque l'éducation est l'une des priorités et que la « bonne gouvernance » est mentionnée dans la stratégie de l'éducation, le ministère était incité à s'assurer que la qualité de l'éducation au Maroc s’améliorerait. Comme les AREF ont plus d'indépendance après le processus de décentralisation, le ministère en charge de l’éducation pouvait également bénéficier de la participation des APTE et des citoyens dans le contrôle des écoles et des performances des AREF.

Dans la définition de ce projet consacré à l’amélioration de l’éducation au Maroc, on retrouve l’un des postulats du GPSA qui consiste, à travers le renforcement de la mission des APTE dans les écoles, à accroître le rôle des citoyens et de la société civile dans l'élaboration des services publics,

Le rôle de facilitateur de la Banque Mondiale

Un autre postulat de la théorie du changement du GPSA évoqué précédemment veut que les OSC bénéficiaires des subventions profitent des relations officielles entretenues par la banque avec les gouvernements et de la capacité de mobilisation de cette dernière vis-à-vis des décideurs politiques dans le cadre de ses relations.

Autrement dit, en s’appuyant sur ses engagements traditionnels avec les gouvernements, les liens entretenus par la Banque mondiale avec ceux-ci doivent permettre la création d’un espace favorable pour l’interaction entre l’Etat et la société civile, l’ouverture de fenêtres de dialogue entre les OSC et les décideurs gouvernementaux afin d’améliorer le partage d’informations entre les OSC bénéficiaires du GPSA et les gouvernements.

Cette mobilisation des acteurs gouvernementaux par la Banque mondiale doit se traduire par un rôle actif de ses équipes dans la phase initiale d’identification des personnes ressources clés au sein des instances gouvernementales que les OSC bénéficiaires pourront mobiliser lors de l’exécution de leur projet.

Dans le projet LEAD, cette phase initiale d’identification des personnes ressources clés au sein du ministère en charge de l’éducation a été retardée en raison de la reconnaissance du ministère en charge des relations avec le parlement et la société civile comme point focal du GPSA au Maroc. Le ministère en charge de l’éducation a été associé au projet un an après sa signature.

La complexité des rapports entretenus par les organigrammes du GPSA et de la Banque mondiale, notamment ceux qui lient les équipes pays de la Banque avec les équipes en charge des relations avec la société civile au siège de Washington DC, n’a pas permis de compenser ce retard jusqu’à l’arrivée du Conseiller en renforcement des capacités du GPSA, qui a par la suite facilité l’intermédiation auprès de la Banque mondiale, et plus spécifiquement avec ses équipes au Maroc.

Les lacunes du cadre d’intervention originelle ont eu pour conséquence que le projet démarre sans qu’il soit doté de la légitimité institutionnelle que le triptyque relationnel GPSA/Banque mondiale/Ministère marocain de l’éducation devait lui fournir. Ceci explique en partie l’absence à la fin du cycle du projet LEAD d’appropriation de la méthodologie et des outils du projet par le ministère marocain de l’éducation au niveau central.

La carence d’appropriation par les acteurs étatiques

Le projet LEAD a permis d’introduire le concept de redevabilité sociale comme un outil indispensable de bonne gouvernance des écoles et d’en améliorer la compréhension par le personnel éducatif des écoles bénéficiaires et des cadres administratifs des échelons territoriaux académiques concernés (DPMEN et AREF).

Cependant, la durabilité du projet LEAD pose également la question du relai que doit nécessairement prendre à un moment l’échelon central du ministère de l’éducation dans la reproductibilité de la méthode du projet à d’autres écoles ou d’autres régions, en mobilisant des ressources humaines propres. Or, comme très souvent dans les projets de coopération au développement,  la pérennité de ce projet est loin d’être acquise.

La bonne réalisation de la théorie du changement du GPSA nécessite sans doute que les projets soient localement suivis de manière coordonnée par le GPSA, la Banque mondiale et les institutions publiques nationales concernées au plus haut niveau afin de mieux assurer leur implication stratégique et opérationnelle.

 

[1] Global Partnership for Social Accountability.

[2] www.thegpsa.org

[3] Evaluation intermédiaire du projet en 2018, évaluation finale du projet en 2020 et évaluation d’impact post projet en 2021.

[4] Linking Primary Education and Social Accountability for Development.

[5] Direction Provinciale du Ministère de l’Education Nationale

[6] Académie régionale de l’Education et de la formation.

[7] La positivisation, standardisation et densification des normes en contexte islamique: réseau sur la gouvernance sécuritaire, sanitaire et environnementale en Afrique du Nord et de l’Ouest, projet scientifique IRN/CNRS.

[8] DIARRA Gaoussou, PLANE Patrick, « La Banque mondiale et la genèse de la notion de bonne gouvernance », Mondes en développement, 2012/2 (n°158), p. 51-70. DOI: 10.3917/med.158.0051. URL : https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2012-2-page-51.htm

Dernière modification le samedi, 06 août 2022 17:51
Stéphane Gignoux

Docteur en science politique et Consultant en coopération au développement.